Marie-Eve Ducharme et Julien Clusiau-Perreault
La première est Présidente du ROCQTR et le second est Président de l’ATTRueQ
Texte publié dans le Journal de Montréal, le 11 décembre 2020
L’ATTRueQ (Association des Travailleurs et Travailleuses de Rue du Québec) et le ROCQTR (Regroupement des Organismes Communautaires Québécois pour le Travail de Rue) tiennent à joindre leurs voix aux alliés des personnes vulnérables qui ont dénoncé fortement le démantèlement du campement sur la rue Notre-Dame à Montréal qui s’est déroulé très tôt le 8 décembre dernier.
Plusieurs de nos membres travailleurs et travailleuses de rue étaient sur place et se sont fait refuser l’accès au site, malgré leur désir d’accompagner les gens avec qui ils ont construit des liens de confiance depuis déjà plusieurs mois.
S’attaquer aux causes de l’itinérance
Plusieurs des personnes déplacées ont indiqué, avec dignité, qu’elles souhaitaient des solutions de logement à long terme, plutôt qu’être envoyées d’un endroit à l’autre, au gré des heures d’ouverture et des places disponibles dans les hébergements d’urgence.
Écoutons-les! La seule façon de s’attaquer à l’itinérance dans le respect et la dignité, c’est de s’attaquer à ses causes, pas aux humains qui la subissent.
Le travail de rue, ce n’est pas juste de diriger les personnes en situation d’itinérance dans les refuges. Dans les faits, c’était surtout être présent, au quotidien, et les accompagner à travers leurs parcours avec bienveillance, professionnalisme et intégrité.
Les événements du démantèlement de la rue Notre-Dame nous démontrent encore une occasion ratée de mettre à profit l’apport des travailleurs et des travailleuses de rue, dans une approche concertée afin de limiter les impacts d’une opération qui, avouons-le, manquait cruellement d’humanité!
Cette façon de faire aura pour conséquences de complexifier le travail effectué auprès de ces personnes sur le terrain, en plus d’ajouter aux nombreux traumatismes déjà vécus par les personnes en situation de rupture sociale.
Une profession invisible
Le travail de rue est généralement invisible, méconnu. On souhaiterait qu’il n’existe pas. Le seul fait qu’il existe est un rappel cruel du fait que notre société n’est toujours pas en mesure de prendre bien soin de ses membres les plus vulnérables.
Habituellement, cette absence de lumière nous convient bien. Nous n’avons pas la prétention d’être des anges, loin de là. On n’approche pas les plus désaffiliés avec fanfare et trompette ou dans une lumière crue. La pénombre et le silence nous vont bien. Bien sûr, notre discrétion nous nuit quand vient le temps de parler du financement de notre pratique… comme nous l’a fait craindre encore dernièrement cette annonce d’un investissement de 19 M$ pour «créer et implanter des équipes d’éclaireurs sur le terrain».
C’est exactement ce que nous sommes, c’est exactement ce que nous faisons, agir en éclaireur pour rejoindre les plus éloignés des ressources d’aide, bâtir avec eux une relation de confiance qui nous permettra de les référer vers les services dont ils ont besoin, dans le respect de leur rythme, de leur volonté et de leur dignité.
Notre pratique unique est reconnue depuis le début des années 1990. Les enjeux et les problèmes que nous rencontrons ont beaucoup évolué, et se sont significativement complexifiés depuis.
Nous sommes témoins depuis le début de la pandémie d’une multiplication d’initiatives de proximité, qui ressemblent souvent au travail de rue sans adhérer nécessairement à ses valeurs. Nous sommes témoins d’une augmentation marquée du nombre de personnes qui s’approchent ou qui sombrent dans la marginalisation et l’exclusion.
Alors, permettez-nous de sortir de l’ombre.
Les travailleurs et les travailleuses de rue ainsi que les organismes qui les emploient sont les professionnels les mieux placés pour rejoindre les personnes en rupture sociale.
Les ressources et les initiatives doivent faire l’objet d’une coordination qui reconnaît l’apport unique des travailleurs et des travailleuses de rue et qui reconnaît l’importance des valeurs auxquelles ils adhèrent (professionnalisme, intégrité et bienveillance).
Le financement d’urgence est apprécié et nécessaire. Mais il est essentiel de réfléchir à des actions structurantes à long terme pour réellement transformer l’enjeu de l’exclusion, et de les financer à long terme.
Parce qu’il n’y aura pas de vaccin en 2021 ni en 2022 contre l’exclusion sociale.
Solidairement,
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