Annie Fontaine et Fanny Gonzalez Gozalbes
La première est professeure agrégée et directrice des programmes de deuxième cycle en travail social à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval ; la seconde est responsable de la communication et du développement au Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue (ROCQTR) et à l’Association des travailleurs et travailleuses de rue du Québec (ATTRueQ)
Texte publié dans Le Devoir le 17 mai 2022
Si le métier de travailleuse ou de travailleur de rue a longtemps représenté un mystère aux yeux de la population, le contexte de la crise sanitaire des deux dernières années aura jeté un nouvel éclairage sur cette pratique cruciale pour le filet social. En cette Semaine nationale du travail de rue, que peut-on dire de la contribution de ces praticiens sociaux qui travaillent jour après jour à ce que la société ne laisse personne de côté ?
Une pratique d’intervention de l’ombre
Alors que le travail de rue existe au Québec depuis les années 1970 et qu’il s’y déploie dans presque toutes les régions, tant rurales qu’urbaines, la reconnaissance du rôle essentiel de cette pratique est plus récente. À cet égard, les conséquences sociales de la crise pour les plus vulnérables auront forcé le gouvernement à reconnaître la nécessité de recourir à l’expertise de ces équipes de première ligne. Issus de divers parcours de formation, les intervenantes et intervenants de rue du Québec sont riches d’un large éventail d’expertises tout en partageant une compétence commune : celle d’aller vers les gens pour les aider à répondre à leurs besoins.
Depuis ses origines, le travail de rue vise à se rapprocher des personnes qui vivent diverses formes de rupture sociale dans une ou plusieurs sphères de leur vie. Cette pratique se caractérise par le fait qu’elle se déploie directement dans les milieux de vie en prenant le temps d’établir un lien de confiance avec les personnes afin de les accompagner vers un mieux-être.
En allant à la rencontre des personnes là où elles se trouvent, les praticiennes et praticiens du travail de rue développent une fine compréhension des réalités humaines. Forts de cette expertise, ces équipes sont en mesure d’agir sur plusieurs déterminants sociaux, que ce soit dans une logique de prévention des difficultés ou de rétablissement des liens sociaux effrités.
Qu’il s’agisse d’écouter une personne au bout du rouleau, d’en aider une autre à déménager ou à rédiger un CV, de co-élaborer un plan d’action local pour la sécurité alimentaire, d’accompagner une personne au tribunal, de collaborer à l’accès à des soins de santé, de trouver un hébergement temporaire pour quelqu’un à la rue, de faire une médiation au sein d’un couple ou d’une famille ou encore d’offrir des seringues propres à un utilisateur de drogues injectables, les travailleuses et travailleurs de rue sont des maîtres de la polyvalence et de l’adaptabilité.
Sur la première ligne pendant la pandémie
Dans le contexte de la pandémie, l’intensification des problèmes sociaux a multiplié les situations de vulnérabilité chez la population et ainsi fait bondir les besoins d’accompagnement. En plus du fait que la propagation du virus a atteint de front les milieux de vie les plus défavorisés, nombreux sont celles et ceux qui se sont retrouvés dans des situations économiques difficiles, sans emploi et isolés.
Les personnes en situation d’itinérance, qu’elles soient visibles ou cachées, ont particulièrement été éprouvées. Outre les obstacles que plusieurs rencontraient déjà, certaines mesures, comme la fermeture des espaces publics et l’imposition d’un couvre-feu, ont accentué leur vulnérabilité, voire mis en danger leur santé et leur sécurité. De surcroît, la pandémie a illustré les inégalités majeures en matière d’usage et d’accès à l’information, dans une société toujours plus numérisée. La dématérialisation des procédures administratives a posé des obstacles à l’obtention d’une simple pièce d’identité ou d’un passeport vaccinal aux laissés-pour-compte du numérique.
En plus de ces difficultés multiples, un sentiment d’isolement, de stress et d’anxiété a largement affecté les populations. Ces symptômes de détresse psychologique, conjugués aux protocoles de distanciation sociale, ont conduit les jeunes et les adultes éprouvant des difficultés à se tourner vers des stratégies plus nocives, comme la consommation de substances psychoactives avec des drogues de moindre qualité, dans un contexte marqué par une crise des opioïdes.
Face à l’intensification du sentiment de détresse vécu par les personnes marginalisées et devant l’absence ou l’inadéquation des réponses à leurs besoins, le milieu communautaire a été sursollicité. Reconnues pour leur capacité à agir dans le feu de l’action et à s’adapter à toutes les situations, les équipes en travail de rue ont redoublé d’efforts pour atteindre les personnes plus isolées et affectées par la situation.
Comme les locaux de plusieurs organismes ont dû fermer leurs portes lors des premières vagues de la COVID-19 et que les milieux d’hébergement temporaire ont été vite saturés, les équipes ont eu à repenser l’organisation de leurs services pour continuer de répondre aux besoins, par exemple en allant porter des dépannages alimentaires sur le pas de la porte des personnes isolées, en les visitant à l’extérieur, en trouvant des solutions d’hébergement.
Un métier relationnel exigeant, qui mérite d’être reconnu
Si la pandémie a engendré de nombreux dégâts sociaux, la fragilisation d’un large pan de la société a aussi généré une part d’humanité et une plus grande sensibilité chez plusieurs citoyens envers les personnes vulnérables. À cet égard, le confinement a par exemple permis de prendre conscience du défi que pouvait représenter l’obligation de rester chez soi, quand on n’a pas de chez-soi. Conséquemment, on a pu assister à de multiples gestes de solidarité en vue de répondre aux besoins émergents des personnes marginalisées.
Afin que cette bienveillance collective envers les personnes vulnérables ne soit pas seulement passagère, espérons que l’on continuera, au cours des prochaines années, de se préoccuper du sort des personnes marginalisées. Pour cela, la communauté de pratique en travail de rue promet de veiller au grain et de continuer à faire écho aux préoccupations et aux aspirations des laissés-pour-compte, qu’on a le devoir de ne pas oublier derrière nous !
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